Chroniques du festival international de musique De Soie et de Feu à Paris et à Mulhouse du 13 au 19 septembre 2015
Autre surprise de ce festival, l’interprétation très personnelle de Philippe Guillard de chansons de Léo Ferré, de même que la transposition dans un même programme de ses propres textes et chansons. Exercice ô combien périlleux lorsque l’on interprète les textes d’un géant de la chanson française, et encore plus périlleux que d’interpréter ses propres textes lorsque l’on a affaire avec plus qu’un auteur-interprète de la chanson mais aussi un authentique poète et écrivain. Contre toute attente - je parle évidemment pour ceux dont je suis qui ignoraient tout de Philippe Guillard - la double prouesse fut relevée haut la main au temple Saint-Etienne. Philippe Guillard était, en outre, en plus de la guitare électrique propre à son environnement acoustique habituel, accompagné d’instruments « nobles » : contrebasse, alto et piano, à quoi il faut ajouter encore l’accordéon. De quoi apporter à l’orchestration déjà bien connue des chansons de Léo Ferré, une touche non seulement nouvelle mais de qualité. Il était proprement exclu de recourir vainement à la moindre imitation ou au pastiche des orchestrations du grand Ferré. Philippe Guillard est parvenu à produire in extenso un spectacle sans double, original et novateur ; avec ce talent exceptionnel que d’être parvenu à intercaler sans maladresses ses propres textes et chansons à celles de Léo Ferré, et sa manière bien à lui de les interpréter. La poésie très imagée et très soignée des textes de Philippe Guillard ne m’a pas paru étrangère au goût qu’avait Léo Ferré lui-même pour un certain « surréalisme » revendiqué dans son style, au point que le texte particulièrement sublime et rare de Léo Ferré « Tu ne dis jamais rien », semblait avoir été écrit pour Philippe Guillard ou inversement. Rencontre prolifique et appropriée ici entre deux auteurs-compositeurs exigeants, l’un mort, l’autre vivant, et qui ont manifestement bien des choses à se dire...
Extrait de l'article «Barjac m’en chante, jour 2 : Un chapiteau en feu, une cour surprenante. 31.07»
1er août 2016
Philippe Guillard, la révélation sublime
Un nom nous avait interloqué à la divulgation de la programmation . Un de ces noms qui ne court pas les rues ni les jardins, mais qui arpentent des murs qui l’accueillent. Philippe Guillard se produisait sous le chapiteau encore une fois plein à craquer. Et les chanceux présents dès le début se rappelleront de ce concert. Un de ces concerts qui laisse une trace que même la guirlande des années ne peut pas effacer
Une tronche à la Gainsbourg, un talent à la Bashung, une interprétation à la Ferré, un total à la Guillard. C’est tout ce que je laisse nous fou des frissons, une ribambelle de rime en “esse” toutes aussi impressionnantes les unes que les autres. Et même quand l’artiste croque ses paroles dans le désordre, il retombe sur ses pieds, au sens propre, en sautant face au public pour présenter ses compères à la guitare et au piano/accordéon.
Si je reviens, Donnez moi d’autres vies, Le grenier de ma mémoire , les chansons se subliment d’elles même et les interprétations, enrobées d’une guitare qui sait tour à tour se mettre en retrait ou accompagner les paroles de notes subtilement distillées, brisent le silence du chapiteau.
Jamais la mort n’a autant senti la vie que sur ce set de Philippe Guillard, qui restera d’ores et déjà un des plus grands concerts de l’année, un show incomparable, une présence scénique et des tripes qui dégoulinent sur scène. On le connaissait chantant les textes de Ferré, les siens lui collent à la peau dans un éclat magnifique, une seule chose nous importe : le revoir.
Extrait de l'article «»
journaliste musicale sur le web
J'ai déjà dit et écrit ici et ailleurs tout le bien que je pense de Philippe Guillard.
Et bien j'avoue qu'hier soir j'ai été littéralement renversée par sa prestation
à Ménilmontant dans le cadre de la soirée de clôture du Festival Les Canotiers.
Là nous avons eu droit à du très Grand Guillard.
C'est une véritable représentation magistrale que nous a donnée Philippe.
Le sang de Ferré coule dans ses veines, pas possible autrement.
Philippe Guillard domine parfaitement son sujet,
il est d'un naturel désarmant dans son tour de chant.
Car tour il y eut !
L'artiste arpentant la scène des marches de pierre de l'église N.D. de la Croix
au rythme des mots de Léo Ferré, tel le Mime Marceau se déplaçant avec grâce,
bondissant ça et là, dans une danse sans fin. On connaissait le comédien, le chanteur
et on a découvert le danseur.
Cet homme est habité !
L'homme a dû rouler sa bosse pour gouverner ainsi les mots et les musiques, de Léo Ferré,
Caussimon et autres auteurs (sans parler de ses propres compositions qui sont également magnifiques).
Philippe vit chaque moment avec une telle intensité que l'on se met à penser que chaque instant est éternel.
Moment de grâce !
Il faut dire qu'il est aidé par une belle équipe de musiciens.
Rudy Guillard aux guitares, et Christophe Barennes au clavier et à l'accordéon,
un véritable orchestre à eux trois.
Bravo et merci, on s'en souviendra…
Ferré, Guillard et la manière
5 août 2014
Il a le physique de bien trois nuits d’insomnies, de lieux interlopes, de cadavres en pagaille et la voix de circonstance, de nicotine, de rocailles sans filtre, râpeuse, éraillée, presque égarée devant ce micro, sous les sunlights. Avec cependant l’insolite grâce d’un corps qui presque mime le petit rat d’opéra et, toutes griffes dehors, cherche sa souris.
Guillard ne fait pas le Ferré : il le chante. Sans copier, sans cloner, sans chercher sa voix, sans tromper son monde, sans feuille de pompe, sans académisme suspect, sans lèche-cul ni lèche-Léo. Guillard chante Ferré comme s’il pissait contre la façade du Quai d’Orsay : décontracté. Il se secoue pareillement. Ses mains… tiens ses mains, qui pétrissent la matière chanson, qui palpent Ferré, lui font les poches même ; ses mains et ses doigts dans la glaise, à sans cesse façonner de nouvelles et élégantes perspectives.
Aux hommages officiels ne le conviez pas : Guillard y ferait trop peuple, sale et pas rasé, pas vie aïe pie pour deux sous ; il piquerait l’argenterie comme jadis Valjean chez l’évêque Bienvenu. Le Ferré de Guillard est organique, viscéral : je vous l’ai dit, il chante comme il urine. En jet continu comme en saccades. C’est paradoxalement le « Ferré institutionnel », celui qui se montre, qui s’entend. Celui de Jolie môme, de C’est extra (sans l’ombre ni l’odeur d’une sardine), du Bateau espagnol, d’Avec le temps… Des Anarchistes aussi. On aurait aimé La mémoire et la mer pour savourer la tempête, pour voir s’ouvrir la mer et enfanter une nouvelle fois l’onirique folie.
Guillard n’est qu’acteur qui interprète un de ses classiques. Il eut pu faire Molière, il fait Ferré, l’habite, le rançonne, le fait dégorger. « Je connais gens de toutes sortes qui n’égalent pas leur destin. » Je ne sais si le destin de Philippe Guillard est de déglutir Ferré, d’ensuite le régurgiter. Mais il le fait si bien qu’on aimerait.
« Contre le regret et le remord / Je reviens… » D’évidence Guillard nous revient. La précédente fois, c’était déjà en cette salle du Blanc-Mesnil : il y éructait Léo, nous laissant comme deux ronds de flan. Déférence. A présent déferré, comme un cheval plus fou encore, c’est son répertoire en propre qu’il vient nous présenter.
« Il y a des gardiens de phare / Qui volerait la mer / De la Chine à Quimper ? / Il y a des gardiens de cimetière / Qui donc pourrait voler ça ? / Y’a des gardiens de nuit / Qui va dépendre la lune ? C’est n’importe quoi. »
D’emblée, des noms nous viennent à l’esprit, non nous encombrent mais sont là et ne nous quittent plus : Arno, Philippe Léotard… Il faut au moins convoquer ceux-là pour évoquer Guillard, vous dire avec précision le bonhomme. La tronche, la dégaine, la voix, les déchirures, les brisures, les cicatrices. Et l’éclatante, l’incroyable poésie qui est comme impétueux geysers, et parfois lorgne aussi sur l’art de Brel ou de Renaud. Et de Ferré, dont on ne se débarrasse pas comme ça…
« Quand on me demande quand je suis né / Je dis que je suis né d’une larme / De deux amants qui avaient envie de pleurer. »
Le verbe est éloquent, complexe et simple à la fois, populaire et raffiné, éprouvé par le rugueux de la voix, le rauque d’un rock évident, qui est à l’artiste comme seconde peau et que les deux musiciens accompagnent avec superbe, avec délice. Deux instruments (Christophe Barennes aux claviers, Rudy Guillard à la guitare électrique) et c’est presque tout un symphonique : le format idéal, le fourreau de l’art à Guillard qui hurle comme magma, pleure des pierres, crache sa lave et sa mémoire comme impétueux volcan. Il sait pareillement se faire doux, gamin, à l’évocation émue de Mon papa.
Guillard est un fauve qui ne sait ni le nom ni l’adresse d’une quelconque ménagerie. Ses dents sont carnassières et ses griffes virtuoses. Guillard est un fauviste : « Repeins-moi / Vas-y, à grands coups d’indigo / Dans le sillon de mes ratures. » Avec Van Gogh, qui d’oreille entend la mort qui vient (« Je ne suis plus fatigué / Pour moi c’est terminé »), il passe une couche ; avec De Staël, dont les souvenirs coagulent sur le peinture, avec Soutine, « cru comme du Rutebœuf », il en repasse une autre. Ses chansons en voient de toutes les couleurs.
Guillard, c’est ça, c’est surprenant. Un artiste total, qu’on découvre, accompli, dont on ne connaît la genèse mais qui est là, au faîte de son art, sans qu’il y ait quoi que ce soit à retrancher. Il est impressionnant.
Philippe Guillard, un après Ferré l'affaire
2 décembre 2014
Je reviens d’entre le point et la virgule / D’entre le zéro et la bulle / D’entre le clou et le marteau / D’entre le crâne et le cerveau… »
Je reviens d’entre le point et la virgule / D’entre le zéro et la bulle / D’entre le clou et le marteau / D’entre le crâne et le cerveau… » Nous l’avions laissé dans l’émotion d’un récital Ferré qui nous avait estomaqués, plus que ça même. Nous savions, bien sûr, qu’il était aussi auteur compositeur interprète, et qu’un jour ou l’autre nous aurions rendez-vous avec Philippe Guillard sans autre tutelle que lui-même : lui et ses mots, son art, sa voix encore et toujours déchirante que des rasades de rock et de rage ne sauraient totalement assouvir.
Parce qu’il a osé chanter Léo, les croisés de la chanson tenteront de lui faire la peau, par principe, parfois par bêtise. Mais le cuir de ce gaillard de Guillard est épais et sa chanson puissante impose le respect. Pour parler de lui – comment faire autrement ? – on convoquera le souvenir d’illustres artistes dont il s’inscrit dans la filiation : des Ferré, oui, Leprest, Arno, Bashung, Léotard, Brel parfois. La crème oui, mais c’est dans cette famille génétique qu’évolue Guillard, cousin pas si germain que ça. L’exercice sera donc difficile d’y exister pleinement, de s’y faire reconnaître.
Les ambiances musicales électriques, les textes, souvent sombres, poisseux, ciel gris et pluie d’ici, la voix grave, éraillée, ruinée de tabac, tout concoure à une dramaturgie épaisse, consistante, toute en relief, en poings et en déliés. Ici s’étalent seize tableaux lumière fin de nuit, aube qui tarde à poindre. Sa chanson sent le vin, sent la vie, les désirs autant que les regrets, sent les gens, sent l’amour, ses « vies sans toi où je m’endors / Dans une vie de mandragore / Enseveli dessous l’humus. »
On savait l’interprète, on sait désormais l’auteur qui nous arrive. C’est une bonne nouvelle pour la Chanson. Il lui faudra d’amples scènes pour que s’installe son bazar, ses mots tordus qu’il redresse, ses vers qui grouillent, ses plaies et ses moments de tendresse, sa Lilith et ses peintres : Vincent le jaune et De Staël. Ils ne sont pas si nombreux que ça nos chanteurs à colorer leurs vers d’autres palettes chromatiques, piquant les couleurs aux tubes de peintres, à transcrire un peu une œuvre, une vie, des toiles. Guillard fait stèle à De Staël et arrose les tournesols du dur de la feuille.
Donnez-moi d’autres vies, chante Guillard, les convoquant à lui, les tirant du Grenier de sa mémoire. Il s’empare, il s’en pare. Dans ses malles, il y a des trésors d’intelligence et de sensibilité. D’émotion et de retenue aussi : écoutez Mon papa, vous comprendrez.
Extrait de l'article «»
9 septembre 2014
Ni Gainsbourg, ni Renaud, ni Ferré, c'est Philippe Guillard dans Philippe Guillard, qui se livre dans son CD «Quand on me demande» et dans son concert d'hier soir à la Comédie Nation : "M'aimes-tu encore, Si je reviens", son corps qui danse sur la scène, tous ces bonheurs cueillis à l'instant. Ah "Mon papa" quelle chanson ! Le phrasé très étudié, la musique qui nous enivre comme dans un film psychédélique, pur délice, texte épuré. Mots essentiels aussi pour les hommages aux peintres "De Staël", Van Gogh enfant de souffrance, couleurs exposées, explosées dans le texte du chanteur bien vivant lui “Vincent le jaune” 7’26 de tableau musical. Assurément Philippe Guillard a encore soif de nous chanter d'autres délices de sa composition, décidément l'écriture de cet artiste nous ravit, son univers nous bouleverse, sa liberté est intacte. 13 titres étonnants, un concert déconcertant de talent et d'originalité. "Quand on me demande" Blanc Musique 2014. Musiciens : Guillard Rudy et Christophe Barennes
La femme de Léo Ferré a dit un jour que Philippe Guillard était l'un des meilleurs interprètes des textes de son époux. A Mèze, la démonstration laissa planer queqlues rêves nostalgiques d'une époque pas si lointaine que cela. Son chant est exprimé à chaque mot, à chaque note, liant le gestuel à son cri de lucidité, subjectif mais juste. C'est sous une ovation émouvante que s'acheva ce court bonheur.
Il a des airs d’Yves Jamait, chanteur, gouailleur, faux mauvais garçon et vrai bon gars. Un type de la rue qui lance sa voix rauque dans des coinstots bizarres, et lui au milieu, qui chante, qui crie, qui pleure, pudique et provocant. L’occasion de revisiter Léo Ferré. De le revisiter, et pas seulement de l’interpréter. Incroyable comme l’alliance d’un accordéon, d’un piano et d’une guitare.Parrainé par Allain Leprest, Philippe Guillard égrène des textes qui n’ont rien à voir avec des reprises. Léo Ferré apparaît là moins poète peut-être, plus humain, si tel étant qu’il possible de l’être, un Léo Ferré retrouvé au coin d’une rue, bateleur malheureux et révolté.